Bertil Galland, en éditeur expérimenté, l’écrivait dans sa chronique de 24 Heures le lundi 7 août 2000 : « Dans la réflexion commune qui devrait nous sortir du marasme, nous manquons, en bien des domaines, de références mise à jour, bien exprimées, aisément disponibles. Nous manquons de publications d’un type nouveau.» Il enfonçait le clou la semaine suivante, toujours dans cette même chronique, en développant l’articulation du projet, son concept encyclopédique, son dispositif éditorial jusqu’au nom de la collection imaginée: «Savoir suisse». N’est pas visionnaire qui veut ! Car, dans ces deux textes fondateurs, tout y est, hormis le nom de l’éditeur qui va très vite se saisir de ce projet apporté sur un plateau d’argent : les Presses polytechniques et universitaires romandes (PPUR), toutes désignées pour apporter leur caution scientifique à la collection et mettre à profit leur expertise éditoriale et leur réseau de diffusion.
Très vite, un groupe se met au travail. Bertil Galland réunit Anne-Catherine Lyon, Robert Ayrton, Jean-Philippe Leresche et moi-même, qui allons former l’ossature du comité d’édition – que d’autres bientôt rejoindront. Le groupe constitue un comité de patronage, élabore une liste d’une centaine de titres ou sujets (la plupart avec un auteur pressenti), il identifie et sollicite les pouvoir publics et organismes, il conçoit la maquette, les couvertures. Et surtout le marketing. Une première conférence de presse lance le projet en mai 2001 et la formidable machinerie se met en place, prête à publier huit à douze volumes par année.
Lorsqu’en novembre 2002 les quatre premiers volumes paraissent, la diversité des thèmes, le sérieux du dispositif mis en place, l’effet de masse et le volontarisme militant impressionnent immédiatement et captent un large public. Parmi ces premiers volumes tirés chacun à 2500 exemplaires, ceux de Martine Rebetez, La Suisse se réchauffe, et de Justin Favrod, Les Burgondes, sont très vite épuisés et réimprimés plusieurs fois: les bestsellers vont s’enchaîner et leurs ventes atteindre ou dépasser les 5000 à 6000 exemplaires, ce qui, en France, équivaut à près de 200 000 ventes.
La réussite de cette entreprise éditoriale réside aussi dans une coopération étroite entre universitaires et journalistes qui va donner sa double identité renvendiquée à la collection : fiabilité et lisibilité. Sans jargon ni note de bas de page, avec des exemples éclairants, la collection s’appuie sur des conseillers scientifiques, s’articule en neuf séries qui la structurent et met en place des collaborations durables avec la presse. Les auteurs, souvent des chercheurs jusqu’alors confinés dans un certain entre-soi académique, deviennent peu à peu les contacts privilégiés des journalistes qui font appel à leur expertise. L’objectif est atteint : la science et les travaux de recherche menés dans les hautes écoles sont démocratisés auprès d’un large public.
Une vingtaine d'années plus tard, le rapport au livre a changé, l’offre s’est démultipliée, et le Savoir suisse, cette encyclopédie de la Suisse du 21e siècle, est toujours là, plus que jamais vivant, donnant raison à Bertil Galland, qui redoutait en août 2000 que « des enthousiastes sans moyens suffisants ne s’emparent de l’idée et ne la tuent promptement », d’avoir fait le choix du bon éditeur.
Olivier Babel, ancien directeur des Presses polytechniques et universitaires romandes, est secrétaire général de Livresuisse et membre du comité d’édition du Savoir suisse.